Source : https://www.terrestres.org/2022/08/25/vers-ithaque-avec-ulysse/
Extrait de La Terre, les Corps, la Mort. Essai sur la condition terrestre, Pierre Madelin
Dehors, Paris, 2022
L’histoire philosophique et religieuse de l’Occident est celle d’une constitution réciproque du déni de la mort et du déni de notre condition terrestre. C’est dans le cadre de ce double déni que s’est imposée peu à peu une représentation dualiste du monde, au sein de laquelle l’être humain a été défini en son essence comme un être étranger à la Terre.
Mais s’il a été historiquement si difficile de négocier avec le donné, et même tout simplement de l’accepter plutôt que de le fuir et de le remplacer par des fictions métaphysiques, c’est parce qu’il est le lieu de la naissance et plus encore de la mort. Or ces deux moments-limites de l’existence, les plus importants dans la vie d’un individu, sont également et paradoxalement ceux sur lesquels il n’exerce strictement aucun contrôle, aucune maîtrise.
C’est à cette condition, et à cette condition seulement que nous retrouverons notre Terre-Ithaque, que nous pourrons habiter à nouveau ce monde que nous avons cessé d’habiter. Mais il nous faudra alors, comme Ulysse, renoncer aux rêves d’immortalité, affronter cette vérité ancestrale que nous avons manifestement encore tant de mal à accepter : la Terre est le lieu où nous mourrons et verrons mourir les êtres aimés. Tel est le prix à payer pour que cesse enfin l’exil et la course folle de notre errance destructrice, et pour que la Terre redevienne enfin, pour tous ses habitants, un foyer.